vendredi 6 novembre 2009

Jour de l'An mémorable


Cette année-là (1970?) le jour de l’an à Kouchepagane a duré trois jours.

Une tempête de neige abondante accompagnée de vents violents durant toute la journée avait fini par bloquer les chemins et confiner les soixante-et-seize membres de la famille réunis pour la fête. Le soir venu il était impossible à quiconque de quitter la maison paternelle avant l’ouverture de la route du rang complètement recouverte de neige à hauteur de clôtures.

Selon la tradition, la réunion commençait le matin par une messe célébrée par oncle Victor dans la chapelle familiale. Toute la tribu, (comme aimait dire mon père) se rassemblait ensuite dans la grande salle pour recevoir la bénédiction paternelle et échanger les vœux de bonne année. Après quoi, on festoyait, chantait, racontait des histoires, jouait à des jeux de société. En fin de journée, chaque famille rentrait chez elle.

Cette fois la tempête est venue changer la donne.

Notre hôtesse et belle-sœur Thérèse avait comme d’habitude préparé un fabuleux festin pour une journée… mais nullement pour trois jours et pour autant de personnes. Elle m’avouera plus tard avoir passé la nuit blanche à faire mentalement l’inventaire de ses réserves et à penser aux menus du lendemain. Heureusement son garde-manger abondait de pâtés, poulets, cretons, beignes et pâtisseries.

Autre problème, comment loger tout ce monde? Les dix chambres de la maison ne peuvent coucher soixante-et-seize personnes en même temps. On suggère un système de rotation pour la nuit. Joueurs de cartes et dormeurs se relayent. Un lit se vide, d’autres personnes s’y glissent. Jeunes cousins et cousines transforment les planchers du salon et de la salle à manger en dortoirs. On bavarde plus que l’on dort…

Pour ma part je me souviens avoir dormi sur le tapis d’une chambre où étaient couchés dans le lit ma sœur Gillot avec son mari Jean et leur petit dernier Jean-Pascal.

Je me souviens aussi d’une situation cocasse : notre très orthodoxe oncle Victor tout habillé, col romain, soutane boutonnée et ceinturée de rouge, allongé sur le même lit que mon père et son épouse, tels des gisants d’un autre âge.

Dès l’aube du lendemain la maison bourdonne comme une ruche. Chacun veut faire sa part. Thérèse distribue les tâches. Le tout dans la bonne humeur. On ne manque de rien sauf de pain et…de cigarettes pour les fumeurs impénitents. Des volontaires, tels de hardis esquimaux, s’offrent à braver la tempête et à aller chercher en motoneige au village ces denrées fondamentales.

En fin de journée, la tempête se calme. Le ciel se dégage de ses nuages. Nous décidons, ma sœur Madeleine et moi, de sortir pour marcher sur la croûte de neige durcie tel que nous le faisions dans notre enfance. Moments privilégiés. Les dunes de neige sculptées par le vent s’étendent à perte de vue. Jeu d’ombre et de lumière sur un paysage surréaliste et éphémère. Tendresse partagée de deux sœurs.

Au matin du troisième jour le son des déneigeuses se fait entendre. Dans quelques heures la route s’ouvrira à la circulation. Autour de la maison on s’affaire à dégager les voitures ensevelies sous la neige afin de permettre à chacun de rentrer chez soi.

Cette année-là le premier de l’an aura duré plus longtemps que d’habitude. Il aura permis à tous d’échanger des confidences et de mieux se connaître. Il reste un des plus beaux souvenirs de la famille.



La famille Raoul Tremblay avec Yvette Bouchard, 2e épouse de Raoul, Yvonne, Gilberte, Claire, Marguerite, Charles-Eugène, Cécile, Germaine, Marie-Ange et Madeleine Tremblay, janvier 1969


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