vendredi 6 novembre 2009

Madame Thibodeau


Notre travail de représentantes pour la Librairie oblate nous amenait, ma sœur Madeleine et moi, à visiter aussi les communautés religieuses de la Nouvelle-Angleterre.

Grâce à une amie qui la connaissait, une dame Thibodeau de Boston nous offrit généreusement de loger chez elle.

Elle était originaire de Tracadie et veuve de Victor, un riche homme d’affaire. Elle avait conservé le parler coloré des Acadiens.

Les p’tites filles, y a pas de gêne. Ma maison est grande sans bon sens et vous serions comme chez vous

En effet sa maison était vaste et elle était entourée d’un grand jardin abondamment fleuri.

Nous fûmes accueillies par Madame Thibodeau à bras ouverts et avec moult démonstrations d’enthousiasme. Sa fille unique June, aussi exubérante que sa mère, vivait sous le même toit avec sa famille.

Lovely baby

Le temps de ranger nos affaires et on nous convie à souper. Le mari de June est là dans toute sa stature d’athlète, charmant, mais silencieux. Leur bébé, assis dans une chaise haute, me fige. Il est trisomique et hydrocéphale. Que dire? J’observe et j’écoute. June est émouvante de tendresse envers son bébé. Durant le repas elle nous apprend comment cet enfant fut désiré, et à quel prix. Infertile, le couple a eu recours à l’insémination artificielle, chose que j’ignorais à l’époque.

Le doctor, nous expliqua-t-elle, a pris la jarme de mon mari et l’a mise dans mon ventre. J’ai pu comme ça avoir my lovely baby. Un miracle!

Sa mère un peu puritaine sursaute :

Voyons June, c’est pas des choses à raconter à des p’tites filles.


J’avais vingt ans et Mado vingt-deux…

L'anniversaire de Victor

Le lendemain, madame Thibodeau nous annonce que c’est l’anniversaire de son mari et qu’elle aimerait aller sur la tombe de son défunt Victor qui est mort. Nous lui offrons de l’y conduire.

Chemin faisant, madame demande d’arrêter devant la boutique d’un fleuriste :

Stop here! Je veux acheter des peonies pour mon défunt Victor.

Elle revient à la voiture les bras chargés. Madeleine de peut s’empêcher de lui demander :

Pourquoi n’ avez-vous pas pris les pivoines de votre jardin? Il y en a en abondance…

Oui c’est vrai, mais ce gars-là, il a un business et il faut l’encourager.

Près de la tombe de son Victor, notre amie laisse aller ses larmes. Soudain elle s’arrête, porte la main à son cou et s’écrie :

My jewelleries! J’avions oublié my jewelleries !

Ce n’est pas grave…

Oui, c’est lui qui me les a données.

Elle se sentait fautive en ce jour particulier d’avoir omis cette délicatesse envers son Victor.

Retour d'un cousin prêtre

Le soir nous réservait une rencontre avec la famille élargie des Thibodeau. Notre hôte tenait à ce nous allions avec eux à l’aéroport afin d’accueillir le cousin prêtre qui revenait de Rome. Ce séjour dans la ville éternelle augmentait le haut prestige dont il jouissait déjà dans la famille.

Je m’attendais à voir arriver un religieux en soutane comme c’était encore l’usage au Québec. Ce fut, à mon grand étonnement, un homme en clergyman, imposant de taille, dégageant un certain charisme qui s’avança.

Impressionnée, je n’ai su dire plus que « please to meet you Father » tel qu’on me l’avait appris.

Le respect dont il fut l’objet à la fête familiale qui suivit témoignait de l’importance de ce personnage dans la famille. Mais tout le clinquant déployé avec ballons et crécelles profanait à mes yeux le sens profond de la rencontre.

La plage

Le lendemain, dimanche après la messe, June nous propose d’aller avec elle nous reposer à la plage. Elle nous amène dans ce qu’il nous semble être une foire avec manège, grande-roue, tamponneuses et tout le cirque.

Où est la plage?

There! me désignant la mer cachée par tout ce bazar.

Nouveau concept d’une plage où on trouve le repos!

Épilogue

Je reverrai madame Thibodeau deux ans plus tard alors que j’étais nouvellement mariée. De passage au Saguenay, elle fit chez nous une courte visite pour connaître mon mari et voir si j’avais mon rug rouge. (Je lui aurais dit, parait-il, que j’aimerais avoir un tapis rouge dans ma chambre.)

Chose plus sérieuse, elle m’apprit que le lovely baby était mort depuis un an et que June et son époux travaillaient for have another miracle.

Cette chère dame Thibodeau est allée depuis longtemps rejoindre son défunt Victor. A-t-elle pensé pour la circonstance porter les précieuses jewelleries qu’il lui avait offertes ?

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