vendredi 6 novembre 2009

Les ormes et la famille


La marche matinale sur les Plaines d’Abraham est devenue pour moi une sorte de rituel à la fois physique et affectif. Cela me permet d’entretenir la forme et le souvenir.

Cet ensemble paysager bucolique où l’orme règne en nombre et en majesté a tôt fait d’évoquer ma famille, les Tremblay de Kouchepagane, pour qui l’orme est un symbole d’appartenance.

En effet, lorsqu’en 1926 la compagnie Duke Price harnacha la rivière Saguenay pour fin d’électricité, le lac Saint-Jean fut haussé et inonda une importante forêt d’ormes centenaires sur la terre familiale.

Cet événement tragique, suivi de procès retentissants, a élevé pour nous l’orme au rang d’objet-culte.

J’ai grandi à l’ombre de ces arbres. Il y en avait quantité autour de la maison. Plus tard, à ses huit filles, mon père offrait en cadeau de mariage des ormes qu’il plantait lui-même dans une sorte de cérémonial.

Lorsqu’il y a dix ans nous sommes venus vivre à Québec, je fus ravie de voir autant d’ormes sur les Plaines. Loin de me sentir coupée de mes racines, je me sentais en milieu familier.

Un matin où je marchais allègrement un grand orme dont une des branches majeures était soutenue par un tuteur me rappela mon grand-père, cet homme altier qui marchait avec une canne. À côté de lui, deux ormes solides et rapprochés pouvaient tout naturellement s’appeler Raoul et Eugénie, mes parents. À quelques mètres, un groupe de quatre me rappela la complicité de mon frère aîné Charles-Eugène avec ses sœurs Marguerite, Cécile et Claire. L’imagination trottant, j’ai déniché Germaine en retrait protégeant la petite Marie discrète et solitaire.

Ils sont tous là, nommés et identifiés, ces membres de ma famille déjà rendus au Paradis.

Chaque matin, je les salue au passage sans perdre la cadence avec tendresse.



Famille de Raoul Tremblay, juin 1954

Quatre générations de Tremblay :
Raoul, Charles-Eugène, Roger et Jean-François

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