vendredi 6 novembre 2009

Zhang Jie-Min



           
            C’était à Hangzhou en Chine en 1987. Un vrai coup de foudre.

 

La veille, dans une galerie d’art à Shanghai, je fus fascinée par la force expressive de ses tableaux. Un seul sujet : des chevaux. Claude et moi n’avions jamais vu représentation aussi vivante du cheval.

Le lendemain, Hangzhou. Arrêt au musée de la ville. Un artiste donne une démonstration de son art devant un groupe de touristes. Je m’approche. Je reconnais tout de suite le style. Je suis fébrile. — C’est lui! C’est l’artiste des chevaux vus hier à Shanghai !

Le groupe précédent se retire et me voilà avec le nôtre en face de Zhang Jie-Min. À ma demande, Monsieur Li, notre guide-accompagnateur, lui traduit mon admiration pour les œuvres vues la veille.

L’artiste me regarde longuement. Je sens qu’il est flatté et tout aussi ému que moi. Lentement, il enlève la feuille de papier de riz sur laquelle il travaille, prend une nouvelle feuille, la dépose sur sa table de travail. Il me regarde de nouveau et de son pinceau marque un point à l’encre noire au centre de la feuille blanche. Puis dans une gestuelle frénétique entre l’encrier et la feuille naît en un rien de temps un cheval galopant toute crinière au vent. Je suis stupéfiée!

Nouveau regard. Par notre guide-interprète, il me demande mon nom. — Yvonne — Yvona…

Avec son pinceau, il écrit à la verticale des caractères chinois à droite du dessin. Le guide me dit qu’il s’agit d’une dédicace qu’il me traduit : « À Yvonne, en reconnaissance pour l’insigne honneur qu’elle me fait d’apprécier mon travail. »

Que dois-je faire de mon côté devant un geste si généreux? Lui offrir paiement? Monsieur Li m’explique : — C’est un cadeau et vous devez l’accepter.

Spontanément, je lui offre la fleur de lys que je porte à la boutonnière.

Toujours par l’intermédiaire du guide, le peintre m’informe qu’il ne peut me remettre le dessin maintenant. L’œuvre sur papier de riz doit être séchée et marouflée. Cela ne devrait prendre que quelques heures. Le lendemain matin à six heures, juste au moment où nous nous préparons à monter dans le car pour quitter Hangzhou, Jie-Min arrive en vélo et me remet, avec moult courbettes, un rouleau contenant le précieux cadeau. Incroyable!

Nous continuons notre périple à travers la Chine. De retour à la maison je trouve dans le rouleau, outre le prestigieux dessin, son curriculum vitae écrit en caractères occidentaux et son adresse écrite en caractères chinois. C’est ma chance. Je photocopie son adresse et la colle sur l’enveloppe d’une lettre de remerciement en français que je lui envoie en espérant qu’il trouvera chez lui un traducteur. À mon tour je lui fais parvenir une de mes œuvres sur papier.

Au fil de la correspondance assidue qui s’en suivit entre nous, j’apprendrai que Zhang Jie-Min jouit d’une grande réputation, non seulement en Chine, mais aussi au Japon et même aux États-Unis. Pour ajouter à sa légende, sa facilité de représenter les chevaux avec tant d’acuité lui viendrait du fait qu’il fut entraîneur de chevaux dans l’armée de Mao.

Quelques années après cette rencontre, mon ami Rodolphe va en Chine. Comme Hangzhou est sur son itinéraire, je luis donne les coordonnées de mon ami et lui demande de le saluer de ma part.

À son retour, Rodolphe m’apprend qu’il a rencontré Jie-Min à deux reprises. La rencontre fut très chaleureuse. Un lien de confiance s’est établit entre eux au point qu’il confia à Rodolphe une dizaine d’encres à vendre au Canada dans l’espérance que les revenus lui permettent de venir dans notre pays. Les œuvres sont de grands formats et sont aussi expressives que celles contemplées à Shanghai. Les chevaux de Jie-Min sont en mouvement. Certains sont aériens et volent littéralement. Je suis toujours fascinée par la magie qui s’en dégage.

Rodolphe et moi tentons de répondre au vœu de notre ami. Nous organisons deux expositions dans la région du Saguenay, l’une dans un centre équestre et l’autre au Centre national d’exposition de Jonquière. Bon succès médiatique, nombreux visiteurs, mais hélas aucun acheteur. À l’évidence, les collectionneurs d’ici ne sont pas portés à investir de grosses sommes pour des œuvres sur papier d’un artiste inconnu.

Confrontée à cet échec, j’écris à l’artiste pour le mettre au courant de nos démarches et lui demande s’il accepterait que je tente auprès de l’Ambassade de Chine à Ottawa de lui obtenir une subvention pour venir lui-même exposer dans notre pays. Pour un motif qui m’est toujours resté mystérieux sa réponse fut : — Surtout ne faites pas cela.

Une zone de mystère s’ajoute encore lorsqu’il nous demanda de ne pas lui retourner les tableaux par la poste. Pour nous remercier de nos efforts, il offre à Rodolphe et à moi de choisir chacun un tableau parmi la collection et de faire don des œuvres restantes à un musée de notre choix. C’est au Centre national d’exposition de Jonquière que nous ferons ce legs généreux. Le Centre national en fit un évènement médiatique et lui fit parvenir, avec ses remerciements, un dossier bien étoffé avec photos prises lors de la remise des œuvres et les articles élogieux des journaux.

Peu de temps après, Jie-Min m’informe que son scribe traducteur quitte Hangzhou. Notre correspondance prend du coup du plomb dans l’aile. De mon côté, un épisode de maladie vient accaparer toutes mes énergies. J’ai ainsi perdu la trace de mon ami.

Heureusement, il demeure présent chez nous par cette encre magnifique bien en vue, son dernier cadeau. On y voit trois chevaux fougueux qui survolent la Grande muraille de Chine dans un mouvement de libération.

« L’art est libérateur. » ( Zao Wou-Ki)

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